Néfertiti chez Mahfouz et Sinoué

Mardi 22 Décembre 2020-00:00:00
' Ayman Elghandour

Néfertiti est présente dans Akhénaton le renégat de Mahfouz et Akhénaton ou le dieu maudit de Sinoué. Son portrait soit moral soit physique est moins détaillé que celui de son mari, particulièrement dans le roman de Sinoué. Elle est décorative: se distingue par sa beauté charmante et se présente comme un “astre sans pareil, auprès de qui l’éclat des étoiles parut si fade, si froid aussi”. Intelligente, elle “savait ce qu’elle désirait”. Après son accession à la famille royale, elle était éduquée par la reine mère. Grâce à sa voix douce, elle contribuait sans cesse aux tâches rituelles consacrées à Aton. Mais sa beauté s’est étiolée après avoir accouché de six filles. Sinoué nous a fait voir le messager qui “est venu annoncer au pharaon la mort de Néfertiti”. Cela signifie qu’Akhénaton a survécu à sa femme. A son tour, Gabolde nous affirme cette information : “Cette XVIe année de règne d’Akhénaton fut encore assombrie quelques mois plus tard par la mort de Nefertiti”. Contrairement à Sinoué, Mahfouz a accordé une place remarquable à Néfertiti dans son roman. Elle y était fortement présente parce que son récit avec Akhénaton a été raconté à plusieurs reprises par d’autres personnages. Issue du peuple, elle est devenue l’épouse du pharaon. “Belle, entêtée, arrogante, elle s’élança à ses côtés dans sa politique”. Elle était bien éduquée dès sa première enfance, à la fois prudente et réservée, ayant un cœur “rempli d’amour et de sincérité”. Elle était si intelligente que sa demi-sœur, Moutnédjémet, a dit: “Elle [Néfertiti] avait toujours cherché à se démarquer par des attitudes qu’elle voulait provocantes”. Son intelligence s’est bien traduite lorsqu’elle a décidé de se marier avec Akhénaton. Elle a exprimé sa croyance en Aton et a appris par cœur ses chants et ses versets. Quand elle est allée au palais royal pour assister aux cérémonies, elle portait une robe transparente. De plus, elle “dansa avec une grâce envoûtante et chanta d’une voix mélodieuse, digne d’une musicienne professionnelle”. Elle a séduit tout le monde, même le jeune héritier. Convaincu que la parole est le miroir de son personnage en tant qu’être social et mental, Mahfouz nous a fait entendre à plusieurs reprises, le discours de Néfertiti; discours qui variait selon l’interlocuteur; il était basé sur l’axe vertical lorsqu’elle parlait à la reine mère, utilisant le vouvoiement pour exprimer le respect et la prudence: “Vous êtes ma reine”; sur l’axe affectif en s’adressant à Akhénaton: “Je t’ai aimé avant même de te voir”. Cet axe a contribué à alléger la tension dramatique. L’auteur lui a lâché la bride lors de sa rencontre avec Méri Moun où son discours était présenté comme une action ou comme un dialogue scène. Elle y a raconté toute son histoire. De plus, Mahfouz lui a confié de clore le roman. Tout ce qui précède révèle une différence remarquable entre les deux romanciers. Sinoué a annoncé la mort de Néfertiti pendant le règne d’Akhénaton alors que Mahfouz a dit le contraire. Chez lui, elle a survécu au pharaon. Elle a affirmé que les prêtres d’Amon avaient assassiné son mari: “Sans doute l’avaient-ils tué pour affirmer leur victoire fallacieuse”. Cet avis est soutenu par Cyril Aldred, annonçant qu’après la mort d’Akhénaton, Toutankhamon “régna seul pendant un an environ sous l’influence de Néfertiti”. Trente ans après la parution du roman de Mahfouz, cette information est réaffirmée par Nicholas Reeves lors de sa participation au colloque qui s’est tenu au musée égyptien en 2016. Il a dit que “Néfertiti avait survécu à Akhénaton qui, lui, avait été enterré à Amarna”. Cette différence entre Sinoué et Gabolde d’une part, et Mahfouz, Cyril Aldred et Nicholas Reeves d’autre part, révèle l’ambiguïté et la promiscuité de l’époque amarnienne.